mercredi 26 février 2014

Chien de fusil.


La peur est un chihuahua, un cabot qui va mordre n'importe qui pour conjurer l'angoisse d'être tout petit, trop petit parmi les grands.
De la nuit de jeudi à vendredi ce chien a pissé quelque part en moi. J'ai discuté le début de la nuit avec Izlé, elle revendique qu'il serait peut-être temps que je lui exprime mes peurs plutôt que de fanfaronner, cette fille est futée avec une conscience d'arc. Alors mes peurs, mes peurs... oui... mais non, j'ai plutôt un train à prendre, comme une grande dérobade machinique. 

Le réveil est pour 3:45, direction la gare pour un train (de fauché forcément tôt) vers Saint-Étienne. Je dors 40 minutes, à vrai dire sans vraiment dormir. Je me ré#veille d'humeur de petite pisse canine. J'empaquette les dernières affaires, trop hagard pour vérifier l'impression que j'ai que le chihuahua n'est plus dans sa niche mentale.

Guichet de la gare, ritournelle sordide de l'enregistrement PMR version SNCF. Sauf que la vieille guichetière me reconnaît et m'accueille avec un sourire matinal, dont je ne sais que grimacer quelques dents carnassières. À sa question procédurière « où allez vous ? » mon cerveau ne sait que clignoter « Paris Paris Paris Paris », je lui balbutie « ow... euh, excusez-moi, je ne sais plus... attendez je vais regarder les billets ». Avec cette sensation que je surprends d'avoir de l'urée de chihuahua dans la gorge.
Le temps d'attente je sors à toute allure fumer une clope. Je tremble presque, je prétexte l'alchimie particulière de l'insomnie avec l'aurore, je me cale visuellement sur un petit bout de ciel, je fais le chien respiratoire.

Un type de physionomie balourde accompagné de son clone me demande si je peux lui filer une cigarette, j'accepte toujours. Mon ADV la lui tend, je m'éloigne ne voulant pas entendre un merci qui n'a pas lieu d'être, mais je ne suis pas assez éloigné et l'entends dire à son compère « oh le pauvre, t'as vu comment il est, j'aimerais trop pas vivre comme lui ! ». Les deux se décalent un peu pour mieux me scruter dans mon retranchement, leurs regards forment un tunnel massif jusqu'à mon esprit. Le balourd ajoute d'un ton de voix mi-pitoyable mi-nonchalante à l'encontre de mon ADV « si tu veux je peux moi aider à le faire fumer, parce que ça doit être trop horrible que tu t'occupes de quelqu'un comme lui, c'est super triste sa vie ». Des crocs mordent le morceau de ciel que j'essaie de me réserver.
Dumb & Dumber continuent résolument de me dévisager à quelques mètres. Mais c'est une voix hors champ que j'entends maintenant, un gars franc-parleur qui raconte à un proche mais toutefois à tonalité beuglée aux alentours : « ouais t'vois moi les filles j'les baise bestial, tant qu'elles disent rien bah, eheh, j'y vais comme j'le sens, bestial... [son pote : « bah ouais »] La première, j'me rappelle, je n'ai rien eu à faire, elle faisait tout et je n'avais qu'à m'laisser faire, ch'ais pas elle mais moi c'était trop bien... et puis maintenant j'y vais sur les meufs ! ces salopes, quoi, t'vois... [son pote : « bah ouais »] » Je supplie que mon système auditif daigne pour une rare fois filtrer, mais il me met juste aux abois. 

Intérieurement quelque chose vacille. Presque viscéralement je fonce dans le hall de gare, cherchant frénétiquement à me rapprocher des chauffages verticaux à tubes rayonnants destinés au public, besoin d'un chaud irradiant, irréfutable. Les deux colonnes sont assaillies de voyageur-euse-s entre aube et rails, je n'ai aucune chance territoriale.
Je me replie contre un coin de mur, comme me laisser glisser le dos jusqu'à m'accroupir parterre, prendre ma tête dans les bras. Et alors entendre japper en moi, entendre ce chihuahua qui rage jusqu'à des larmes dans mes yeux. La bave du clebs qui innonde mes paupières dit juste cela : « Izlé est tellement belle dans tout ce merdier de vie, si je ne vaux pas cette beauté alors je ne deviens que merdier ».

Cette bave est à vrai dire limpide, ce matin-là j'ai peur. Peur de sentir que je suis en train de tenir à Izlé comme un morceau de ciel que je peine à trouver lorsqu'elle n'est plus là. Peur d'être tout petit sur mes quatre pattes face à la longitudinale joie qu'elle ne cesse de déployer bien mieux que les chauffages des halls de gares.






















1 commentaire:

  1. Merde, j'allais dire que tu semble attirer les abrutis mais en fait non, ils sont déjà là, partout, c'est juste qu'ils se révèlent à toi davantage qu'aux autres, ce truc du fauteuil qui doit les faire se sentir légitimes à balancer leur connerie... Gerbant... Mais le morceau de ciel ne peut en paraitre que plus bleu...

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