vendredi 3 janvier 2014

SCOM.


[Braves ami-e-s valides, ne vous offusquez pas du portrait professionnel peu glorieux des kinésithérapeutes qui suit, le pamphlet ci-dessous concerne la clientèle handie.]

 

Le-la gamin-e handi-e moteur-ice français-e 80's n'a pas pu échapper durant son enfance à la kinésithérapie, culte médico-institutionnalisé archaïque détenant la ferveur des parents endoctrinés à la « rééducation », autant que vaste arnaque à l'ALD d'où les praticien-ne-s se tarifaient un acte de minimum 45 minutes pour un maximum de pratique à domicile d'à peine une 20aine de minutes, duperie répétée deux piètres fois par semaine.
Pour ma part le-la kiné
- à domicile était une occupation pour ma génitrice, c'était son moment PMU où, pendant que son fils se faisait tripoter les muscles et tendons telle la confection d'un boudin blanc, elle papotait allègrement avec le-la kiné des sujets les plus artificiels qu'il puisse exister (non sans une cacophonie de ricanements de séduction)
- en institutions j'étais en deçà du boudin blanc, mon corps était abruptement écartelé, majoritairement harponné en tractions par des systèmes non humains, dans la mesure où les humain-e-s ici avaient pour professionnalisme la même tendance PMU de discuter entre collègues de ce que Machine avait dit à Machin avant d'arriver en boîte de nuit, non mais parce que tu comprends l'autre fois il a cru que...

Donc au programme : douleurs auxquelles sont prêtées le minimum d'attention par les adultes, fréquence thérapeutique stérile, terrain de socialisations adultes pitoyables. Une chose évidente : ne pas s'étonner que le-la gamin-e 80's devenu-e adulte fin 90's décide avec plus de volonté de stopper la kinésithérapie plutôt que de se faire dépuceler.

Et puis à 34 ans un de ces gamins se retrouvant avec de telles douleurs entre le cou et l'épaule se dit qu'il ferait bien de tenter un-e kiné pour quelques séances, que plusieurs siècles ont passé et que la kinésithérapie a dû bonnement évoluer, le progrès & toussa toussa.

Ça commence par des appels aux cabinets du quartier :
- Bonjour, je suis un homme en fauteuil électrique avec une pathologie neuromusculaire, vivant dans le quartier et disposant d'une prescription pour quelques séances NON RÉÉDUCATIVES mais de massage dans la zone d'une clavicule. Je voudrais savoir si votre cabinet me serait accessible en fauteuil ?
- Ah mais je vais venir à domicile !
- C'est gentil. Mais comme je passe matins et soirs dans le quartier, si votre cabinet est accessible je peux tout à fait venir pour les séances.
- Mais... vous viendrez comment ?!
- Euh... [WTF] en déplaçant mon corps ?
- Vous pouvez ?
- Je crois queeeee... oui.

Autre appel :
- Bonjour, je suis un homme en fauteuil électrique avec une pathologie neuromusculaire, vivant dans le quartier et disposant d'une prescription ..... gnagnagna ..... ?
- Quel âge a ce monsieur ?
- Ow... j'ai 34 ans.
- Et il serait disponible quand ?
- En fait il est en train de vous demander lui-même si tout d'abord votre cabinet serait accessible en fauteuil.
- ... Ah non.

J'essaie de me convaincre que revivre mes années 80 pourrait peut-être être 'rigolo' ou je-ne-sais-quoi qu'il faut que je me convainque. Donc j'accepte n'importe qui à domicile me parlant à la première personne.
Mais ce que je n'avais pas saisi (allez je m'en doutais mais je refoulais) c'est que désormais j'étais inclus de facto dans le terrain des socialisations adultes pitoyables. Soit pire pour moi que les huissiers à la porte : devoir communiquer express avec un-e inconnu-e qui en plus est en train de me toucher.

Le spécimen kinésithérapeute arrive chez moi... forcément 30 minutes en avance, parce qu'un-e handi-e c'est censé être le bisounours accueillant de n'importe quel-le praticien-ne médical-e. C'est gentiment mais fermement que mon assistant lui informe à la porte qu'il n'est pas encore 12:30 et que je ne suis pas disponible. Réponse du kiné : « ah oui bah c'est que comme j'faisais un tour dans l'quartier je me suis dit qu'j'avais qu'à passer ! », ça sent déjà l'ambiance PMU...
30 minutes ensuite je l'accueille, lui ressemblant à un prof d'EPS du fin fond de la Lozère. Je lui mentionne posément que je ne peux pas être disponible avant l'heure fixée, que j'avais un boulot à terminer... Ce à quoi il s'exclame « ah bon vous travaillez ?! ». Nous en sommes à 2 minutes de la séance et je réfléchis déjà aux possibilités moyenâgeuses de l'expulser de chez moi. Je réponds en souriant « aussi banalement que vous », il déglutit bizarrement.

Nous commençons les manipulations, et c'était on ne peut plus prévisible qu'il débute par :
- Oh vous avez des tatouages là.
- Oui. [Dois-je lui en faire un test optométrique ?]
- Ça veut dire quoi ces tatouages ? [Question 80% récurrente du mec valide ouvertement écervelé.]
- Plein de choses, mais ce sont des histoires personnelles et je préfère les garder pour moi.
- Ah d'accord. Dis donc il est mignon votre chat, [évidemment il se met à le toucher comme si c'était free-hug] hey gratt-gratt toi...
- ...
- Ffffiou tous ces livres, vous lisez beaucoup...
- Euh... oui. Enfin je lis, quoi.
- Oh y'a un bouquin en anglais ! Vous lisez l'anglais aussi ?
- [Non, c'est un appartement témoin IKEA crétin.] Oui.
- Sinon dis donc vous avez beaucoup de cadres aux murs.
- Ah. Oui. [Non mais vas-y analyse tout mon espace privé.]
- C'est vous les... photos ?
- Oui.
- Dis donc c'est... c'est... ce que vous photographiez... c'est...
- ... ?
- Je dirais : abstrait ! [il exulte]
- Ah. Pas spécialement. Enfin oui, peut-être, si vous le ressentez comme ça. [Je cherche honnêtement comment lui décrire de la photo contemporaine non directement narrative, mais j'abandonne.]

Et ainsi de suite. J'ai - comme d'habitude - fini par lui faire parler de sa profession, puis de l'anatomie qu'il était en train de me travailler pour n'avoir plus de questions mortellement ennuyantes de sa part à in/valider. (Il m'a regardé hébété comme si j'étais un prématuré avec un QI de 260 à ma connaissance du sterno-cléido-occipito-mastoïdien.)
Il a essayé à la fin de prétendre qu'il y avait de nets progrès dans ma zone musculaire concernée, j'ai eu l'impression qu'il parlait à ma génitrice.



1 commentaire:

  1. ça me déprime que tu ne rencontres que des gens cons... Ou tellement NT qu'ils se trouvent répondre à ces schémas de socialisation superficielle (et recherchée par la plupart des gens pour meubler un silence considéré comme étant gênant :/)..
    Quand est-ce que tu traverses la France pour aller voir ma sœur ? :p

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