lundi 16 septembre 2013

Intimes.


« La solitude implique que, bien que seul, je sois avec quelqu’un (c’est-à-dire moi-même). Elle signifie que je suis deux en un, alors que l’isolement ainsi que l’esseulement ne connaissent pas cette forme de schisme, cette dichotomie intérieure dans laquelle je peux me poser des questions et recevoir une réponse. La solitude et l’activité qui lui correspond, qui est la pensée, peuvent être interrompues par quelqu’un d’autre qui s’adresse à moi ou, comme toute activité, lorsqu’on fait quelque chose d’autre, ou par la simple fatigue. Dans tous ces cas, les deux que j’étais dans la pensée redeviennent un. Si quelqu’un s’adresse à moi, je dois maintenant lui parler à lui, et non plus à moi-même ; quand je lui parle, je change. Je deviens un : je suis bien sûr conscient de moi-même, mais je ne suis plus pleinement et explicitement en possession de moi-même. Si une seule personne s’adresse à moi et si, comme cela arrive parfois, nous commençons à parler sous forme de dialogue des mêmes choses qui préoccupaient l’un d’entre nous tandis qu’il était encore dans la solitude, alors tout se passe comme si je m’adressais à un autre soi. Et cet autre soi, allos authos, Aristote le définissait à juste titre comme l’ami. Si, d’un autre côté, mon processus de pensée dans la solitude s’arrête pour une raison ou une autre, je deviens un aussi. Parce que ce un que je suis désormais est sans compagnie, je peux rechercher celle des autres — sous la forme de gens, de livres, de musique —, et s’ils me font défaut ou si je suis incapable d’établir un contact avec eux, je suis envahi par l’ennui et l’esseulement. Pour cela, il n’est pas nécessaire d’être seul : je peux m’ennuyer beaucoup et me sentir très esseulé au milieu de la foule, mais pas dans la vraie solitude, c’est-à-dire en compagnie de moi-même ou avec un ami, au sens d’un autre soi. »

-- Hannah Arendt, "Responsabilité et jugement", éd. Payot

[merci M.]


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« la bouche noire de mûres sauvages. pas de confiture. et "tous les matins du monde sont sans retour"
mais ils sont nouveaux aussi, tout comme nous sommes, tous les matins du monde, nouveaux et sans retour.
l'un des vœux de l'année disait " je te souhaite de n'être rien de définitif ou alors pas longtemps__ " je m'applique à cela fermement, tout comme j'applique une lèvre puis l'autre sur le haut de sa joue politique et intransigeante et maréchal ferrant, tout comme je baise son menton comme s'il s'agissait d'un corps entier. la question n'est pas de vouloir mieux ou plus, jamais on ne dénichera pareille courbure d'arc d'indien dans les épaules, la question est d'être fidèle. à quelque chose de plus long. être sans retour ne veut pas dire être discontinu. au contraire. ce peut être un même seul être fait de mille matins sans retour. et si l'un d'eux contient un amour continent, rien n'empêche, que dans tous les changements-matins, même ceux qui paraissent brutaux et dénués de sens, rien n'empêche que se joue là, justement, une immense fidélité de l'amour. »

-- Marie Richeux




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J'ai maintenant tout le temps de penser que vous n'avez pas laissé au temps sa part délicate, celle que l'on prétend difficile, celle que vous fuyez à tout temps à tout vents, l'accusant de cul-de-sac. Vous n'avez jamais fouillé délicatement ce cul. Le temps s'accorde non pas sur la patience mais sur la persévérance, l'art de continuation (des allumettes dans les paupières). Qui dit : j'ai commencé, je poursuis, tu es ma suite.
Vous avez parlé dans les chuchotements, c'était un souffle de clarinette à la place des habituelles balivernes. Tu te rappelles, tu te rappelles --- tu te rappelles, toi aussi. Le temps se jouait d'une commissure de lèvre à l'autre, souriant, enfant. Et puis le temps qu'il ne fait pas beau est toujours passager et sympathique aux potagers, mais c'était déjà trop tard pour vous. Ou trop tôt. À vrai dire avec vous il est toujours trop tôt d'être trop tard. Votre poursuite du jetlag, quoi.


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