mercredi 18 mai 2011

Matrice.

Réveillé à 6h (merci MCat pour ta nouvelle technique barbare mais comique de me courir sur le torse pour que je me réveille...).

Dans le village vers 7h30 pour aller chercher et déposer un croissant à Buddy qui dort ici.
Les rues du village sont quasiment vides, je sifflote doucement le BWV 847 dans ce calme du sommeil que j'aime tant.

Pour rentrer vers la maison je longe l'océan, je me pose quelques instants, ce calme délicatement lumineux est le plus grand des oxygènes.
Ah oui le croissant (je peux toujours tout oublier), je me dirige vers la petite rue « de la Mer » qui mène jusqu'à la maison, mais j'entends l'océan derrière moi et c'est une fois de plus irrésistible. Je fais demi-tour, je veux rester là et observer tout le matin qui est en train de s'ouvrir [de s'allumer].
Je missionne mon assistant à vélo pour aller déposer le croissant et me ramener mon lecteur mp3.

Le temps qu'il y aille, j'observe déjà.
Je suis absolument seul devant la plage.
Un bateau se réveille, il ouvre sa voile. Je plonge mon regard dans chaque vague, la marée est descendante (chouette), les vagues sont fines, elles semblent synchroniser l'au revoir à la nuit. Une polyphonie.

L'assistant arrive avec le lecteur mp3. (Il va se poser plusieurs bancs plus loin, je parviens ainsi encore à me sentir seul devant l'océan.)
La musique est une fois de plus ma plus puissante énergie neuronale.
Tobin, Bach, Paganini...
J'envoie puissamment cette électricité en moi en fermant les yeux, puis j'ouvre les yeux sur l'océan, et alors tout émerge de plus en plus. ==> Les formes et les couleurs crééent des mouvements, des combinatoires, je fixe une séquence, je me balade dans ses dimensions, je les ouvre, pour alors découvrir un autre déploiement de séquences.

En fait je suis en train de travailler, véritablement. Mon esprit est le stylo et mon cerveau le carnet de notes.
Je réfléchis principalement pour mes travaux actuels à la structure du temps, à l'existence inscrite dans le temps [hier : qu'est-ce que le temps sans l'espace, et vice versa ?].

Ça commence avec « Delpher » d'Amon Tobin.
+ Une mouette qui vole au-dessus de l'eau comme déclic.
+ L'ombre volante d'une mouette sur le sol, sombre par la lumière, distincte/indistincte. Vive allure immatérielle.
+ Une autre mouette qui se balade longtemps et tranquillement au sol le long du rivage [« les ailes dans les poches » dit mon cerveau]. Et un homme plus tard marchera dans les vagues exactement à la façon de la mouette. Le sol, les déplacements d'existence qui y sont liés.
+ Les vagues sur la gauche qui forment de parfaites lignes parallèles, des parallèles mouvantes.

Et ainsi de suite.
Durant 2h, immobile mais complètement élancé intérieurement, je manipule le maximum de pensées, j'oriente le plus de modélisations possibles. De cet intérieur qui n'a d'ailleurs plus de corps, plus de parois.

*

L'ouverture à tout cela, la clé réflexive d'aujourd'hui :

la vitesse de l'apesanteur.

Je décèle quelque chose d'essentiel là-dedans.
> Que l'existence ne peut être qu'en apesanteur,
> mais que celle-ci ne doit pas reproduire du statisme,
> pour que son présent ne soit pas polarisé entre 1) un déterminisme du passé 2) projeté dans l'avenir,
> alors cette apesanteur doit révéler sa vitesse,
> à ne pas confondre avec : la rapidité, qui appartient au statisme, à une chronologie strictement fixatoire, à une précipitation dont découle nombreux rapports de force.
> La vitesse de l'apesanteur est une vivacité, elle ouvre sur le présent un puissant réseau d'existence.

°

« Qu'est-ce qu'il dit ? ».
Injectez vous Tobin (ou ce que vous aimez tant que ça vous active totalement), venez sur cette plage et regardez un oiseau voler au-dessus de l'eau...

mardi 10 mai 2011

Surfin'.



Voici donc le remorquage de l'Hippocampe.


La roue avant surélevée simplement par deux tendeurs attachés à des accroches solides de l'assise du Q6000, les tendeurs permettant de la souplesse dans les tournants pour que l'Hippocampe suive efficacement les courbes. Et ça fonctionne merveilleusement bien.
Une petite dizaine de kilomètres aujourd'hui parcourues entre 9 et 10,5 km/h (voulu aller à la première plage de la Couarde, mais les batteries du Q6000 toujours plus ou moins défectueuses - et toujours pas remplacées par le technicien... - ne m'ont pas permis d'arriver à destination, j'ai préféré rebrousser chemin, fortement frustré). Donc ça me permet d'aller vite, pendant que l'assistant-e suit en vélo.

L'ensemble présente certes une certaine longueur, mais une fois cette distance intégrée je parviens même à finement conduire dans les ruelles des villages. Bien concentré en vitesse et tout se passe bien.
Au niveau du poids, c'est également tout autant nickel : l'Hippocampe pèse une petite quinzaine de kilos, ce qui me paraît un poids plume comparé à toutes les personnes que je porte d'ordinaire à l'arrière du fauteuil.

Un peu l'impression de transporter ma planche de surf.


lundi 9 mai 2011

Responsabilité. (Technéthique.)

Aujourd'hui sous la douche - pourquoi pas - je me suis demandé ce qui valait mieux : ne jamais se mentir ou ne jamais rien se promettre.
Je n'ai pas encore trouvé de réponse/s.

Par contre, dans les bouquins que j'ai emmenés, il y a le passage (simple) ci-dessous lu tout à l'heure au lunch qui me renvoie notamment à la notion de responsabilité, et la confusion qui peut en découler/onduler.
Notion qui m'est très chère. Plus qu'une éthique de vie chez moi, une sorte de technique sensible de vie.


« Toutes les parties du monde sont tellement liées entre elles, qu'il ne peut s'y produire aucun changement qui n'ait, pour ainsi dire, son retentissement dans l'univers tout entier. La chute d'un arbre, par exemple, sera ressentie par toutes les particules de matière dont se compose le monde, sans exception aucune ; distinctement par celles qui sont voisines du lieu où l'arbre est tombé, confusément par les autres, et de plus en plus confusément, à mesure que l'on s'éloigne de ce lieu. Mais, si faible que soit le contre-coup, il s'étendra jusqu'aux parties les plus reculées non seulement de la terre, mais du monde entier, à cause, dit Leibniz, « de la connexion de la matière dans le plein ». En effet, comme il n'y a pas de vide entre les choses, il est impossible d'assigner un point où l'ébranlement devra cesser de se propager. Il n'est donc pas de molécule de matière, si petite qu'on la suppose, qui à chaque instant ne ressente, c'est-à-dire, suivant Leibniz, n'exprime, plus ou moins distinctement, la totalité des changements survenus dans l'univers. »


Introduction par Henri Lachelier
à "La Monadologie" de Leibniz,
très belle édition de 1905 (Hachette).

samedi 7 mai 2011

Vive-morte-eau.

Mardi j'ai appris la mort de quelqu'un qui a compté à une époque de ma vie.

« Mort », un petit mot pour un très court instant, et pourtant un impressionnant déploiement d'émotions et de réflexions qui surgissent au fil des heures et des jours à partir de ce mot prononcé.
Hier je me suis rappelé : à l'annonce de cette mort je vivais ma journée, c'était la matinée et j'étais en train de remonter l'ordinateur que j'avais entièrement démonté pour réparation (comme il peut être facile de réparer des machines plutôt que des organes), ceci avant de projeter foncer vers une grande plage du nord de Ré, puis « mort », et c'est comme si la vie s'arrête pour une autre fulgurance de vie, celle du rappel qu'être vivant c'est aussi mourir, la première des logiques.
Apprendre la mort de quelqu'un-e c'est autant apprendre d'être en train de vivre, comme une soudaine réactivation de la « fonction vivante ».

Depuis mon adolescence, plusieurs d'ami-e-s & amant-e-s autour de moi sont mort-e-s, la plupart handi-e-s. C'était plutôt insupportable durant cette époque, probablement parce que je n'étais pas encore parvenu moi-même à accueillir ma vie ; la mort des autres se logeait dans ma non-vie.
Puis il semblerait que ma vie soit devenue cette supernova. Ma « biographie pathologique » annonce toujours une mortalité précoce, mais je pense avoir créé des espaces-temps où je parviens à vivre discrètement des milliards d'années. Il ne s'agit pas maintenant de la vie qui primerait sur la mort, ce serait un non-sens (pour moi). Non, il s'agit du fait que la vie et la mort s'échangent des données fondamentales, comme un entrecroisement du nadir et du zénith.

Alors maintenant ma première réaction à l'annonce du décès de quelqu'un-e est : d'accord. De cette façon habituelle que j'ai à considérer premièrement la technicité des faits, le fonctionnement des choses, même des choses-humaines.
Et pourtant, il s'étend alors un vaste silence en moi, qui me rend immobile, inaccessible, je ne peux alors être que dans ce silence total. J'ai retrouvé ce grand silence avant-hier en commençant ma journée ici :




à marée basse. Dite de « morte-eau » lorsque le marnage est à son minimum. [Aussi l'ouvrage "L'Eau et les Rêves" de Gaston Bachelard que je lis doucement ces derniers temps est une formidable encyclopédie de l'eau.]
Je m'y sentais calme, et j'ai réalisé alors la première douleur que je peux expliquer chez moi d'un état de deuil :
* non pas que la personne soit morte, je peux ressentir le manque - suivant évidemment la proximité relationnelle - mais ce manque provoqué par sa mort n'est dû qu'à l'existence de sa vie, il y a toujours un remerciement ici
* il s'agit du choc entre le besoin de silence de l'au revoir à une vie estimable et le manque d'espace-temps à ce deuil dans un monde mod(t)erne qui grouille de vies dont la plupart me semblent s'ignorer (peut-être pour justement fuir les moindres deuils).

La mort d'un-e proche serait une double mécanique d'arrêt : pour la personne qui meurt l'arrêt est cet instant bref, le dernier souffle (la dernière bougie ?), activant par la même pour l'ami-e qui vit comme un arrêt sur image de la vie.
Des vies : depuis cinq jours mon esprit revoit beaucoup de petits moments d'avec l'ami (((principalement : un fou rire ensemble chez lui))), autant qu'il regarde avec une acuité nouvelle ma propre vie. Et les larmes viennent peut-être pour moi lorsque sur les deux écrans des films de vies je fais le lien avec des joies et des tristesses à vrai dire... cruciales ? Je veux dire par là : d'accord, ce truc qu'on appelle « vie », c'est quand même un sacré gros morceau à porter, avec des densités extrêmes, et les larmes sont probablement des eaux que l'on veut garder stagnantes pour ne pas s'y mouiller, trop accaparé à vivre sec. Et puis la mort de quelqu'un-e vient perturber ces eaux profondes stagnantes, du genre une petite goutte dans la flaque qui se met à onduler, « n'oublie pas de continuer à vivre ».

Morte-eau, vive-eau.
François démontre une fois de plus que tout est marée, que tout est mouvement. Rien ne part sans venir et revenir, sous de multiples formes. Rien ne meurt fondamentalement, tout vit minutieusement.


Le MChat marin.