mardi 29 juin 2010

«Imagination, imaginaire, imaginal » par Cynthia Fleury

« L'imagination active (« agente » serait plus approprié) ne nous donne pas accès à une région irréelle mais, au contraire - parce qu'elle s'appuie à la fois sur la perception sensible et sur les catégories de l'intellect et, comme le souligne Henry Corbin, qu'elle « spiritualise » le corporel et « corporalise » le spirituel -, à « une région et à une réalité de l'Etre qui sans elle nous reste[rait] fermée et interdite ». En d'autres termes, sans imagination active, l'homme n'a pas accès à un domaine de l'Etre. Partant, si les philosophies s'échinent à faire disparaître ce « monde de l'âme », ou encore cet usage très spécifique de la faculté imaginative, c'est tout un pan de la réalité qui nous est définitivement interdit, à jamais perdu. Ce n'est donc pas moins de fiction que nous risquons d'avoir avec la perte de la faculté imaginative, mais bien moins de réel ; nous risquons de cloisonner les mondes sensible et intelligible, de les tuer à petit feu, justement parce qu'ils ne s'animent et ne se « vivifient » qu'à la condition d'être l'un au contact de l'autre. Ce que l'imagination agente a en charge, c'est la revivification des mondes - sensible et intelligible - dans la mesure où elle les articule et crée une médiation possible entre eux. En réalité, en faisant sauter le monde médian et la faculté médiatrice, ce n'est pas seulement l'articulation du monde sensible au monde intelligible que l'on rend impossible, c'est toute une conception du savoir, celle-là même d'une « renaissance » dans la mesure où celle-ci témoigne d'une philosophie qui est expérience de l'invisible divin, du moins s'y confronte. Le monde « paraît » à celui qui sait découvrir, dévoiler les dimensions multiples du sensible - soit ses racines intelligibles -, qui sait derrière le manifeste saisir le caché. Si l'imagination active est exilée du champ de l'Etre et du Connaître, c'est alors proprement l'homme qui sera exilé du monde. »

pages 36-37
ed. PUF (2006)

jeudi 24 juin 2010

Neurones « In a landscape ».

Je lis un livre sur John Cage écrit par Jean-Yves Bosseur.
Deux passages atteignent mes parois.


Le premier, où John Cage explique à Roger Reynolds la différence technique qu'il conçoit dans son travail musical entre l'indétermination et les opérations de hasard.
En ces mots :

« Dans le cas des opérations de hasard, on connaît plus ou moins les éléments de l'univers dans lequel on travaille, tandis que, dans l'indétermination, j'aimerais penser (mais peut-être puis-je me tromper et me cacher la vérité) que je suis en dehors de l'univers connu et que j'ai affaire à des choses qui me sont totalement étrangères. »

J'y perçois ma façon de parfois tituber dans le monde, c'est-à-dire, avec les notions de Cage, de bien souvent me sentir plus indéterminé qu'hasardeux. De ne pas partir d'un certain hasard pour entreprendre les calculs-outils de compréhension de ce monde, mais de bien plus devoir absolument tout déchiffrer, jusqu'aux opérations des calculs (calculer les calculs), tant tout peut me paraître opaque, incompréhensible, insaisissable.


Quoi qu'il en soit, il est certain que cette indétermination « de l'univers » me donne bien souvent envie de décoller mon être du sol vers le ciel.

Et là il y a ce deuxième passage du livre faisant référence à Maître Eckart qui remarquait que le ciel ne doit pas être considéré comme un échappatoire par rapport à la terre (et Cage d'ajouter que l'art ne doit pas être considéré comme un échappatoire par rapport à la vie).

Je me suis dit alors ceci : je perçois le ciel en tant que ciel depuis le sol, parce que je suis sur le sol. Le sol m'ouvre le ciel de la même façon que le ciel me montrerait à voir le sol.


Alors à savoir si mes neurones vont vers le ciel ou vers le sol... À vrai dire peu importe.




mardi 8 juin 2010

« Je peins ce que je vois, pas ce que vous souhaitez que je voie. » Lucian Freud

Ce midi en cherchant l'illustration d'un propos je me suis retrouvé devant une photo de l'atelier de peinture de Lucian Freud. Suis retourné la semaine dernière à Paris voir de nouveau quelques tableaux de son exposition à Beaubourg qui m'avaient marqués à ma première visite d'il y a déjà quelque temps.

Le premier tableau que je souhaitais à tout prix revoir était celui-ci.



Grand tableau d'une des filles de Lucian Freud allongée au pied d'une vaste plante. Il me semble qu'au début je me suis senti mal à l'aise, voyant en premier lieu une gamine allongée sur le sol avec le regard dans le vide. Là il s'agissait de mon point de vue de spectateur qui serait debout à côté de cette fille couchée par terre. Debout devant la toile, un simple spectateur qui peut interpréter à tort et à travers. Ce qui équivaut d'ailleurs à un simple adulte qui se tient définitivement à distance d'un enfant.
Mais j'ai ensuite changé mon point de vue : rentrer dans la toile, s'immerger dans la vie intérieure du tableau. Ici en prenant le point de vue de la fille, à regarder la plante qui s'élève vers la lumière, jouant longtemps de cette lumière de façon sûrement impressionnante si on se trouve au pied de la plante. J'avais alors envie de m'allonger moi aussi contre ce pot près de la baie vitrée, et de regarder un ciel de feuilles multivertes. Me suis senti apaisé, probablement aussi avec un regard prétendument « dans le vide ».


Le deuxième tableau que je voulais également retrouver est ce lavabo d'où se reflète pour Lucian Freud deux lutteurs japonais.


Le lavabo me fascine complètement car évidemment il y a ce double écoulement d'eau... Le rendu me paraît photographique, voire même cinématographique tellement l'impression de regarder et entendre l'eau couler.
Suis extrêmement sensible au(x) froid(s), et ici au premier regard du tableau j'ai froid : la faïence, les tuyaux de robinetterie, le miroir sont des matières fraîches ou froides que je n'aime pas toucher. De plus le reflet des lutteurs nus accentue ma sensation d'avoir froid.
Mais il y a l'eau qui agit comme un étrange régulateur thermique dans n'importe quelle circonstance : bien que préférant bien sûr être en contact avec de l'eau chaude, si je regarde de l'eau mon esprit au premier abord ne conçoit ni de chaud ni de froid, l'eau est pour moi neutre au sens thermique, et il me semble que c'est une des raisons pour lesquelles cet élément m'apaise.



Ensuite, ce tableau des deux hommes m'emplit de sensations.


Tout d'abord la perspective me donne l'impression d'une confusion entre pesanteur et apesanteur. Presque debout, presque allongés, ou bien flottant au plafond.


Lucian Freud peint beaucoup de portraits de personnages endormis, j'adore regarder les gens lorsqu'ils dorment. C'est le seul moment où je sais que l'autre ne me regarde/attend pas autant que ne joue aucun rôle, et donc je me sens pleinement libre de parcourir les innombrables détails du corps qui me fascinent ; pendant très longtemps. Quelqu'un-e d'endormi-e me paraît bien souvent plus « vrai-e » qu'éveillé-e.

Les deux positions de sommeil de ces hommes correspondent aux deux seules positions que je peux prendre lorsque je dors, sur le côté avec la jambe gauche de pliée, puis sur le dos les mains posées sur mon torse. De plus, pour des raisons de capacités musculaires, je ne peux pas enlacer mes amant-e-s (de mon point de vue, discutable...), et la plupart du temps je m'endors à la façon de l'homme en bleu en posant ma main droite sur une partie du corps de l'amant-e que je souhaite à ma droite.
Ainsi j'aime profondément dans ce tableau les positions de corps, le contact minimal que je trouve très intime, avec notamment ce rapport à l'habillement et à la nudité, qui me parle aussi beaucoup (la nudité ne me dérange pas, j'y ressens peu d'émoi car je pense concevoir très peu de valeurs de pudeur, alors que les habits m'ont toujours paru des éléments fortement érotiques).


mercredi 2 juin 2010

Eteindre la journée.


 

Paris, worktime.
Observer « les gens » pour minutieusement les comprendre, mais rarement les ressentir.
Percevoir qu'ils attendent que je participe à l'Insensé, mais aujourd'hui encore expression figée ou furieuse envie de fuite.

Derrière mes yeux qui tentent de ne pas dévier de leurs regards, il y a des contrées lointaines.


Mais « les gens » de l'autre côté de mes yeux déversent des paroles saccadées, des regards en torpilles, des rires d'acier, des petites idées dans des grands concepts.
Et tout cela dans une chute sans fin.